Mémoires d’Algérie…

1962-2012, il était une fois

Il était une fois, dans ce vaste monde où nous sommes, un merveilleux pays. Un pays aussi grand que la terre. Bordé de ciel et de mer. Un pays que le soleil refusa, et refuse toujours, obstinément de quitter, à cause de son incomparable beauté. Une beauté, faite de douceur estivale et de charme printanier. Un pays aux couleurs de l’enfance et de l’exubérance, aux couleurs de l’espérance, nos couleurs préférées. Un pays qui nous a vus naître, pour beaucoup d’entre nous, où nous avons vécu et grandi, que nous avons follement aimé, où nous avons beaucoup appris, mais pas toujours bien appris, parfois mal appris et quelquefois même désappris…

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Dans ce pays plusieurs fois millénaire, et dont ma mère m’a maintes fois conté les exploits légendaires, vivaient des hommes et des femmes que tout semblait séparer. La couleur des yeux autant que le dessin des pieds. La longueur des cheveux autant que la forme du nez. Mais des hommes et des femmes habités par une même passion et une seule : l’amour de la vie et leur foi en l’homme, par-delà les différences, toutes les différences. Ils avaient une devise, une seule : aller toujours à contre-courant des idées reçues. Et un programme, un seul: semer sur les plaines et les vallées de mon joli pays et d’ailleurs, les germes de l’éducation nouvelle. Nous les avions rencontrés in jour d’été, à l’âge où la vie se confond allègrement avec le printemps et au moment même où mon pays accédait à la dignité et reprenait sa place comme membre à part entière de la communauté humaine. Nous étions une soixantaine de jeunes gens, garçons et filles, venus des quatre coins du pays, pour vivre, pendant une semaine, ensemble et dans le quotidien, une nouvelle façon d’être et d’avoir, une nouvelle manière d’éduquer et d’aimer le fils de l’homme. Ces hommes et ces femmes nous ont énormément appris. Appris ce nous n’avions pas encore suffisamment appris. Ce que nous avions mal appris.

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Ce que nous n’avions pas assez appris. Appris à chanter. A chanter « Tous ensemble, que l’on est bien. Chaque jour qui passe, nous est un nouveau lien. Ce bonheur d’être unis, qu’il n’ait jamais de fin » Appris à danser. A danser, filles et garçons, à se donner la main, à tracer des chemins pour de meilleurs lendemains, pour être plus humains. Appris à conter. A conter et à raconter les histoires d’antan et celles de notre temps, pour faire naître et renaître le merveilleux qui gisait en nous, prêt à s’éveiller et à s’émerveiller au premier rayon d’amour. Appris à jouer. Jouer avec nos dix doigts pour taquiner tantôt le papier, tantôt le bois, tantôt la ficelle, tantôt la peinture, y compris celle sur soie. Appris à sorti. Sortir de notre coquille, pour contempler le vaste monde, autour de nous, à le regarder vivre, de jour comme de nuit, percevoir ses couleurs, écouter ses clameurs, sentir ses odeurs, humer ses saveurs. Pour le protéger, le ménager, l’aménager. Appris à partager. Partager notre temps et notre espace. A ne pas prendre tout sur nous ou tout pour nous. A ne jamais se situer au-dessus des lois. A représenter démocratiquement nos groupes d’appartenance et à se laisser représenter, même par plus petit que soit. Appris, enfin, à respecter nos rythmes de vie, autant dans le travail que dans la détente ou les loisirs. Ces hommes et ces femmes ne se sont pas contentés de nous faire agir. Ils nous ont appris à réagir et à réfléchir sur les capacités qu’à l’homme, où qu’il soit, et quel qu’il soit, de pouvoir se développer et de se transformer au cours de sa vie. Qu’il en a le désir et les possibilités. Ils nous ont fait saisir de façon concrète l’importance de l’éducation comme moteur et vecteur de changement à condition qu’elle s’adresse à tous et qu’elle soit de tous les instants. Ils nous ont fait prendre conscience que tout être humain, sans distinction d’aucune sorte, avait droit à notre respect et à nos égards. Ils nous ont fait découvrir que le milieu de vie jouait dans le développement de chaque individu un rôle capital. Ils nous ont permis de saisir concrètement l’importance de l’activité dans la formation personnelle et dans l’acquisition de la culture. Grâce à eux, nous avons mesuré combien l’expérience personnelle était un facteur déterminant dans le développement de la personnalité. Et que toute action pour atteindre des objectifs donnés, se devait d’être menée en étroit contact avec la réalité. Nous étions une soixantaine de jeunes gens, garçons et filles. Venus des quatre coins de l’Est du pays. Habités par une immense soif d’apprendre, de vivre et de donner le meilleur de nous –mêmes. Ouverts à toutes les audaces. A toutes les aventures humaines. Les plus nobles et les plus sacrées. Pour construire notre jeune et beau pays et participer, à travers lui, à l’avènement d’un monde meilleur, plus fraternel et plus humain. A l’issue de ce stage, nous sommes partis, armé d’un savoir proprement dit mais aussi d’un savoir être et d’un savoir-faire, tout à fait remarquables, qui nous ont souvent aidés, notamment dans les moments les plus difficiles de notre existence, à rester debout et à ne jamais désespérer de l’homme. Tout cela grâce à nos aînés. Des hommes et des femmes, venus de près, venus de loin, voire de très loin, pour nous faire bénéficier de leurs savoirs, de leur expérience et de leur foi en l’homme. Certains sont ici, dans mon pays. D’autres sont ailleurs. D’autres, hélas, ne sont plus là. Mais tous sont dans nos coeurs et peuplent nos mémoires, font parties de nos vies. Ces hommes et ces femmes, qui ont servi loyalement mon pays, Al-Djazaie, l’Algérie, étaient tous des instructeurs des CEMEA, les centres d’Entraînement Aux Méthodes d’Education Active… Je les revois encore, et les entends, comme si cela datait d’hier, entonner un chant, raconter une histoire, diriger un jeu, une activité manuelle ou une danse folklorique, nous faire découvrir le milieu naturel ou humain, nous parler de l’enfance et de l’adolescence, bref nous ouvrir, toutes grandes, les portes de l’éducation nouvelle. Je citerai parmi eux, et pèle mêle, Gilbert, Fatiha, Jean, Houria, Hamid, Mohamed, Roger… et bien d’autres encore, des hommes et des femmes, au caractère trempé, mais au cœur généreux, immensément généreux.

 

Quand et comment ai-je entendu parler des CEMÉA, quand et comment suis-je devenu Instructeur, puis Délégué régional de l’Association Algérienne des CEMÉA

Algérie

1960 : Je participais en tant qu’enseignant stagiaire à l’encadrement d’une colonie de vacances en France, dans les Pyrénées Orientales. Le directeur, l’économe et les moniteurs, tous Algériens, avaient été formés par les CEMÉA. J’étais le seul à n’avoir pas encore suivi de formation.

1961 : je rempilais et participais à une seconde colonie, toujours en France et avec le même encadrement, mais cette fois, dans la région de Toulouse, à Montauban d’abord, puis à Salles-Curan.

C’est au cours de ces deux colonies que j’ai non seulement entendu parler des CEMÉA mais surtout découvert cet organisme d’Education Nouvelle et ses principes et décidais alors de suivre ses formations dès que l’occasion se présenterait.

1962 : L’Algérie est indépendante.

L’Association Algérienne des CEMÉA nait et se donne pour objectif d’aider le nouveau pays à former ses cadres, notamment dans les domaines de l’Éducation et de l’Enseignement, à travers quelques figures emblématiques militantes: Mohamed FARES, Mohamed FARHI, Rem SMIDA, Hocine MENASSERI ou Jean FILBET, Roger GONIN, Marcelle LERAY dite Kotick, Raymond BOINOT, Mohamed LANNABI…et bien d’autres.

Le premier stage est organisé en juillet 1962 à Constantine sous la direction de Gilbert Jouanne. J’y participe et découvre, ainsi, ce Mouvement d’Éducation nouvelle qui changera ma vie et lui donnera un sens. Quelques dates en seront l’expression : 1963, 1964 et 1968.

1963 :Lors d’un regroupement, le 3ème, tenu à Djebel Ouahch, à Constantine, Roger me propose de rejoindre le Mouvement et de devenir Instructeur stagiaire de l’Association Algérienne des CEMÉA. Ce que j’ai accepté sur le champ. Cela m’a conduit à encadrer, durant cette année, trois stages de moniteurs (Sidi Aiche, Bougie, El Oued) ainsi qu’une colonie de vacances (Région de Collo).

1964 : Une dizaine de camps de vacances sont organisés, par l’AACEMEA, en relation avec la Casorec (Caisse de Sécurité Sociale) et la Daira de Constantine (Sous-préfecture) dans la région de Collo, plus exactement à Tamanart, pour accueillir un millier d’enfants, venus du Sud, faire connaissance avec la mer. J’y participe avec Roger à l’encadrement d’abord du stage, puis de l’une des dix colonies.

1968 : Roger fait part de son désir de se décharger de la fonction de Délégué Régional de l’AACEMÉA de Constantine et me proposa de le remplacer. Ce que j’ai accepté heureux et ému à la fois…

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En rejoignant ce grand Mouvement d’Education Nouvelle, en devenant Instructeur des CEMÉA, cela m’a permis de rencontrer des hommes et des femmes qui ont joué un rôle déterminant dans ma vie et dans mon épanouissement.

Grâce aux CEMÉA, j’ai rencontré la mère de mes enfants.

Grâce aux CEMÉA, j’ai repris les études.

Grâce aux CEMÉA, j’ai exercé des fonctions pédagogiques et administratives importantes au sein de l’Université Algérienne.

Grâce aux CEMÉA, enfin, j’ai enseigné à mes enfants ainsi qu’autour de moi, que la vie est toujours belle, quels que soient les coups du sort…..

Et que les hommes et les femmes qui peuplent cette merveilleuse planète bleue sont faits pour se connaître et s’entendre, pour s’aimer et surtout pour être heureux.

 

par BENCHIKH-LEHOCINE Lokm


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