Premier jour

A peine franchi le périmètre de l’enceinte universitaire, et m’avançant dans le dédale des rues il y eut dès les premières minutes de découverte comme une impression d’entrer dans une cité désertée par ses habitants, de quartiers à l’abandon momentané, déconnecté du reste de la ville. Une atmosphère humide et étrange nous recouvrait. Une atmosphère nucléaire quelque peu ukrainienne qui me fit dériver un peu. Personne dans les rues ou à la fenêtre, des bâtiments vides, des portes fermées ou battantes, des voitures éparses dans les parkings et sous les arbres, qui ont l’air pour certaines d’être laissées là depuis longtemps. Pas même la présence fantôme de PMF pour hanter ces lieux..

Il faisait un temps d’été désaffecté et on se croirait dans un bout de ville interdit d’accès à la population pour cause de radio-inactivité ; où on chercherait en vain l’emplacement d’un réacteur catastrophe.

Qu’on se détrompe !

Nous sommes là et y serons ainsi des mutants venus soigner au mieux notre pouvoir de contamination de la société et nous y serons quelques centaines de reclus volontaires. Pour nous reconnaitre, chacune chacun porte un bracelet vert au poignet, presque fluo ; il y en a d’autres,déjà très affairés, moins nombreux qui en plus en portent un orangé. Ce doit être des autochtones ou des pensionnaires arrivés plus tôt, ou alors qui sont restés cachés quand l’ordre d’été de quitter la cité a été donné. Ils auraient désobéi, seraient restés résistants invisibles pour investir la zone et la transformer ; une nouvelle ZAD en somme d’éducation à venir. Occuper l’espace du temporel militant, un espace de contage sensible et politique ; chacun-e ici sera le conteur « Geiger » d’avenir actif de l’autre. Une stratégie d’accord à l’amiante circonscrite en quelque sorte cette année enfin pour penser et agir l’avenir ou du moins pour agir un avenir à leur pensée. Cela fait congrès dans ce milieu nomens’land.

Peu à peu arrivent les occupants éphémères de cette zone de « contaminaction ». Certains investissent aussitôt les locaux, remettent en utilité le local. On y entend des voix, des accents, des bruits de construction, on y perçoit des ambiances motivantes de chantiers. Des murs, des édifices changent d’apparence et donnent à voir une autre couleur et jusque dans les toilettes percent de petits écrits et de grands aphorismes. Histoire de marquer le territoire avant de passer au tamis axe1, de porter les focus au pinacle et de ne pas désespérer la lucidité de nos utopies.

Des vélos ont fait leur apparition et sur les extérieurs nouvellement aménagés, des jeux font société comme une tâche de coloriage dans un environnement austère, si ce n’est hostile.

De quoi se rassurer peut être ? Ces objets-repères qui effacent l’impression de ghetto urbain et créent un peu de circulation d’humanité. La zone s’équipe donc, la zone résuscite, se pare même si les téléphones portables animent leurs porteurs. De temps en temps le soleil tente une intrusion. Un cycliste passe et dans le décor suscité de ce plateau, les acteurs tiennent leurs rôles. Le véhicule d’un agent de sécurité campus passe inaperçu ; tout devient tranquille et pourtant il fait sa ronde.

Une grande affiche signale qu’ici se tiendra dans quelques jours un congrès des Cemea. Des panneaux donnent des indications, des directions, à suivre et à connaitre pour s’aventurer dans ce qui fera parcours pour chacun-e ; d’autres installations, expositions s’ajoutent encore qui font aussi varier le paysage de notre entre soi commun. D’aucuns arborent des maillots colorés aux insignes du congrès. Les heures passent, les arrivées se succèdent, personnes attendues et retardataires, venant de très loin ou perdues dans le labyrinthe du campus, seuls ou en petits groupes. Parfois il semble que ce sont des gens d’une même tribu, d’une même famille, d’une même communauté, avec leurs histoires et leurs héritages et parfois sans histoires en apparence du moins.

On fait son entrée, on enregistre son arrivée , on achète un bon pour boire , on récupère la clé de son hébergement avec le plan des dédales : bâtiment X chambre chiffre code pass d’accès à son espace privé quelque part sur le campus non loin d’EVE. ça dépend !

EVE un nouveau sigle pour fixer les premiers contacts, oser les premiers instants de retrouvailles providentielles, de rencontres fortuites ou de regards absents.

Faudra-t-il un plan pour trouver sa cabine de retraite, sa cellule de repos ou d’abord être aux rendez vous pour entonner les chants du possible ? Un autre cycliste passe à vive allure et à en lire son matériel et son équipement sportif il a engagé une course poursuite entre lui et son avenir sur la grande rue qui ceinture le quartier, son terrain d’entrainement.

Dans l’angle d’une salle reconfigurée en espace convivial, une corde d’escalade est installée pour descendre en rappel, une invitation au présent à d’autres vertiges domestiqués.

Face à la chaine de Belledonne à peine aperçue aujourd’hui, un bar vient d’être installé pour nous inviter à  » remonter la pente » c’est son enseigne , une incitation désormais posée pour donner le cadre. Sur un graffiti laissé sur une vitre on peut lire : «  A quoi peuvent rêver les étudiants ? » A désembourber l’avenir disait Maïakovski. On ne sait plus vraiment si les étudiants peuvent encore rêver, on leur souhaite de tout cœur de garder cette énergie, mais nous ici dans ce campus de st martin il nous faudra ne pas manquer d’erre.

Bertrand Chavaroche


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